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INVENTER LE REEL. LE SURREALISME ET LE ROMAN (1922

CHENIEUX-GENDRON J.
22.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782745327734
Editeur : CHAMPION
Date de parution : 03/04/2014
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INVENTER LE REEL. LE SURREALISME ET LE ROMAN (1922

Extrait

INVENTER LE RÉEL ?

Pour vivre et penser, c'est le pouvoir de la poésie qu'il s'agit d'interroger - en son sens le plus originel. La poésie est création, réalisation en acte, et le mouvement qui projette l'homme vers sa parole propre n'est jamais anodin. Avant Pindare, dans le monde grec, le «poète», c'était l'aède, le chanteur, celui qui projette les sons au-devant des auditeurs : acte de respiration et de communication s'il en est, et qui fait sa part à la violence pour contraindre à l'écoute son auditoire. Le poète, pour ce faire, interroge violemment son propre vouloir. Œdipe, interrogé par la Sphinge, la questionne durement à son tour - on se rappelle les représentations que Gustave Moreau donne de cette scène mythologique -, le poète brave le monstre, qui de son côté tente de le séduire. Il mime l'accouplement avec elle pour mieux deviner ses secrets. Noces fabuleuses, au sens propre du mot : créatrices de paroles et de sens.
Car «la vie» et la pensée ne sont pas faites d'habitudes mentales piétinantes.
Poètes, donc, comme Œdipe : en ce sens les surréalistes l'étaient ou ont cherché à l'être, avec une force décuplée par l'angoisse des guerres et la révolte devant toutes les injustices humaines. Écrire n'est rien, si c'est reconduire la possibilité même d'une guerre, et réinstaller sur ses rails l'inégalité sociale et son train d'injustices pour les hommes. Écrire est quelque chose si c'est ouvrir la voie à la pensée humaine, et traquer en chaque moment de son propre parcours la compromission avec ce qui est mais aussi la silhouette de ce qui pourrait être. Tel est sans doute le moteur intime d'un «mouvement surréaliste» qui porte bien son nom : moins «surréaliste» que «mouvement», et en son sens le plus pratique : à la recherche d'une éthique.
Or cette traque, je le disais, est celle des mots. C'est aussi celle des formes. Il n'est pas mauvais dès lors de s'interroger sur une bizarre réprobation, pour ne pas dire un interdit, qui traverse l'histoire du surréalisme : celui du «genre» romanesque, et celui de la peinture figurative. À cette éthique s'articule donc une esthétique. La figuration contribue à détruire le rêve, on croyait le savoir. Mais il faut maintenir tenace la nostalgie d'un locus amoenus surréaliste, seulement silhouetté, qui se dessine dans les poèmes ou dans la prose poétique, ou dans les formes d'une peinture aux références formelles apparemment disparates.
Je tente ici de donner forme à une interrogation ancienne. Fascinée autrefois par la lecture d'Au château d'Argol (admiré par André Breton), j'ai voulu savoir pourquoi, quinze ans avant la publication de cet ouvrage, ce dernier avait prétendu refuser au roman le droit de cité littéraire. Comprendre un interdit, rêve de révoltée trop raisonnable, peut-être, ou de raisonneuse. Mais ma recherche, c'est aussi : refuser de subir l'interdit comme tel - non pas pour le retourner contre le surréalisme, me gausser de ses prétentions et me mettre à écrire un autre de ces romans - mais longuement essayer d'en comprendre le sens, la validité précaire et profonde à la fois. Pour cela, entrer dans la place, avec sympathie, pour comprendre. C'est ce que j'ai tenté de faire, dans Le Surréalisme et le roman, dont je reprends ici certaines lectures, puisque l'ouvrage a été vite épuisé.
Parallèlement, je m'interroge aussi dans un autre livre (Surréalisme(s) : l'esprit et l'histoire) sur les théories qu'ont développées les surréalistes, sur leurs mots-clés, et sur la critique d'art des surréalistes, laquelle s'émerveillant de la «magie» de telle ou telle oeuvre semble a priori récuser tout critère de classification et d'évaluation. Je pense qu'il n'en est rien, et sans provocation excessive, je propose de considérer André Breton comme un critique d'art ; ses pages, comme relevant d'une esthétique qu'on peut définir ; ses amis, comme développant des modes d'inventer différenciés, divergents parfois, convergents souvent.

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