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OU ES TU BRITANNICUS

GIULIVO ROMUALD
9.50 €
Sur commande
Code EAN : 9782211210928
Editeur : EDL
Date de parution : 12/04/2013
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OU ES TU BRITANNICUSÇa y est, c'est fait, mon père est mort. Hier, ou cette nuit, ou ce matin, je ne sais pas et peu m'importe. Je suis barricadé dans ma chambre, recroquevillé sur mon lit, et je ne veux plus y penser. Les gens s'agitent dans les couloirs et je me bouche les oreilles, j'appuie fort pour ne pas les entendre qui hurlent de joie quand ils devraient pleurer. Ils ne se cachent pas en passant devant ma porte, mais je ne leur en veux pas. Moi aussi j'ai les yeux secs, moi aussi je l'ai presque oublié. J'ai promis et je tiens bon pour l'instant. Parce que je m'y suis préparé, parce que j'ai beaucoup bu. Et puis surtout parce que c'est trop tôt.
Maintenant je me souviens, ça m'a fait pareil avec maman. J'avais sept ans et je n'ai pas versé une larme pendant des mois. À la maison on était intrigué par le calme avec lequel j'avais reçu la nouvelle, on s'étonnait que je ne pose aucune question. J'étais habitué à son absence et il m'a fallu longtemps pour réaliser. Mais même après, quand j'ai fini par comprendre, quand j'ai arrêté durant la nuit de guetter ses soupirs ou les râles de ses amants, je n'ai pas flanché. J'ai continué de vivre, apprendre et grandir comme si de rien n'était. Je sentais mon père très affecté et je voulais le protéger, l'empêcher de sombrer. Ça a marché puisque, dès l'hiver suivant, il était remarié. Maintenant je ne me souviens par contre ni de la cérémonie ni du banquet, la fête a duré deux jours et il n'en subsiste pas une trace dans ma mémoire. Je me souviens seulement que c'est à ce moment-là que j'ai craqué. Je me suis effondré et j'ai laissé déborder les flots de larmes qui m'étouffaient. C'est pour ça que je n'en ai plus une seule à offrir à mon père. Mes larmes, je les ai toutes données à maman.
Je fais pourtant semblant chaque fois qu'on vient frapper à ma porte. Je me mouche dans le drap, renifle, utilise le peu de vie qui subsiste en moi pour gémir et réclamer la paix. D'abord c'est ma soeur qui se présente, elle dit: «S'il te plaît, ouvre-moi», elle dit: «Tu ne dois pas rester seul, enfermé», alors qu'elle pense tout le contraire. Je l'aime beaucoup ma soeur, même si c'est devenue une sacrée conne. Un fossé s'est creusé entre nous, nos routes se sont éloignées pour prendre des directions opposées, mais je ne parviens pas à l'en blâmer. C'est comme avec ma belle-mère, qui la rejoint peu après. Elle joue l'éplorée, demande à se blottir dans mes bras, à m'embrasser, elle en rajoute des tonnes et je ressens à peine le désir de l'étrangler. C'est impressionnant comment elles se ressemblent ce matin. Je ne sais pas si elles s'en aperçoivent, si elles se rendent compte combien elles sont ridicules ou si, à force de geindre, elles croient à leurs simagrées. Elles refusent de lever le camp et leurs plaintes me vrillent les tympans, amplifient la douleur sous mon crâne. Je pourrais hausser le ton et leur dire d'aller se faire voir toutes les deux, ce n'est pas l'envie qui m'en manque, cependant je devine que ce n'est pas la meilleure chose à dire. Pour m'en débarrasser, je dis ce qu'elles souhaitent entendre. Je dis que je ne veux parler à personne et que je ne sortirai pas de ma chambre. Ni aujourd'hui, ni demain, ni peut-être plus jamais.

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