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LE DOIGT DU DIABLE

THIBAUX/PAUMIER
21.30 €
Sur commande
Code EAN : 9782843375668
Editeur : ANNE CARRIERE
Date de parution : 20/05/2010
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LE DOIGT DU DIABLELa mer de boue

Justin, Erwan, Lucien et leurs camarades avaient l'impression d'avoir toujours vécu dans ce merdier gluant qu'était devenue la plaine flamande. Il leur poussait des racines sous les semelles; elles s'enfonçaient profondément dans la terre gorgée de l'eau du ciel et du sang des combattants. Ils parlaient souvent des copains décédés, des bons moments vécus et des franches rigolades partagées avec ces frères trop tôt disparus. On était en octobre. Les permissions passées en Bretagne n'étaient que des mirages entretenus par les lettres de leurs proches. Pour faciliter le tri et l'acheminement du courrier, cent cinquante-quatre secteurs postaux avaient été créés. Cependant, le courrier mettait un temps infini pour parvenir d'un point à un autre.
Justin guettait tous les jours l'arrivée du vaguemestre, bondissant de trou en trou, rampant sous les barbelés, prenant des risques insensés pour apporter un peu de réconfort aux soldats. Les lettres de Marie-Louise et les colis de Carla Lepenven, cette folle de Quintin qui le prenait pour son fils, abondaient; il en recevait souvent deux ou trois en même temps, et il ne répondait maladroitement qu'à sa fiancée, usant de son français sommaire et de son vocabulaire restreint. Il regrettait à présent les jours passés à apprendre à tailler des pierres et à couper des arbres, les semaines perdues aux vendanges, à la cueillette des amandes et des cerises, au lieu de se rendre régulièrement à l'école. Il avait passé son enfance et son adolescence à se faire des ampoules aux mains pour gagner quelques sous et aider sa mère à améliorer le quotidien d'une vie misérable, après la mort de son père. Erwan l'aidait à corriger certains passages. Il était interdit de parler de la guerre. La censure veillait. Des lettres étaient ouvertes au hasard par les officiers des renseignements, et malheur à ceux qui évoquaient la dureté de l'armée, les hécatombes, les ordres stupides des généraux, ils risquaient des sanctions sévères. Ainsi, Justin racontait que tout allait bien, que la Belgique était un pays merveilleux où personne ne manquait de rien, et d'autres bêtises de ce genre. Il y avait des passages qu'il s'obligeait à composer sans l'aide du frère de Marie-Louise, des paragraphes où il déclarait son amour à la jeune fille, son désir de la serrer dans ses bras, de sentir ses cheveux, de goûter ses lèvres et sa peau. Il désespérait de ne pas pouvoir s'exprimer comme un poète et suait à la tâche. Il l'avouait. La plume pesait plus lourd que le fusil quand on ne possédait pas son certificat d'études.

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