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VANITAS

SECHAN THIERRY
5.10 €
Sur commande
Code EAN : 9782268062846
Editeur : DU ROCHER
Date de parution : 30/08/2007
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VANITAS

Extrait

Par une fin d'après-midi pluvieuse et froide de janvier, j'arrivai à Amiens. Anne m'avait quitté, j'étais déprimé. Depuis plus d'un mois, je buvais jusqu'à m'assommer. Je buvais tout ce qui me tombait sous la main, bière, vin, whisky ou vodka. Je buvais comme un Cosaque assoiffé, jusqu'à tomber par terre, dans le fossé ou le caniveau.
Anne m'avait déjà quitté, un an plus tôt. Elle était partie avec son banquier. Pas un véritable banquier - costume Armani et chaussures Berluti - mais un minable directeur d'agence, sourire carnassier de l'agioteur et costume Cerruti. Je m'étais battu pour la reconquérir et, après deux mois de parties de jambes en l'air, elle avait fini par me revenir, pas penaude pour un sou. «Trois mille euros par mois ! m'avait-elle lancé. Tu te rends compte ? Et ce pauvre type qui pensait qu'il allait se taper Anne pendant un an en gagnant trois mille euros par mois !»
Anne était d'une incroyable vanité et d'une hallucinante vénalité. Certes, elle était jeune et belle - elle ressemblait un peu à ces beautés baroques du XVIIe siècle italien -, mais rien ne l'autorisait à être aussi vaniteuse. J'avais une fille de dix-sept ans d'un premier mariage, Lou, qui me paraissait infiniment plus belle, tant son regard laissait transparaître sa pureté et son désintérêt pour les biens terrestres. Les beaux yeux d'Anne ne laissaient transparaître que son goût du lucre et du luxe. Médecin, je gagnais deux fois mieux ma vie que le misérable directeur d'agence qui avait séduit Anne, mais ce n'était jamais suffisant pour elle. Si je n'avais mis, à plusieurs reprises, le holà à ses folles dépenses, Anne m'aurait assurément ruiné, sans le moindre regret, ce qui eût contraint ma belle et studieuse Lou à abandonner ses études. Anne était un monstre, un monstre d'égoïsme et de cupidité, mais un monstre que je ne pouvais m'empêcher d'aimer. Anne était si sensuelle... Je n'ignorais pas que son plaisir était le plus souvent feint, mais je m'en accommodais. Que m'importait au fond qu'elle simulât la jouissance, dès l'instant que je jouissais dans ses bras. Mon ami Jérôme - également médecin - m'avait mis en garde : «Tu me pardonneras, mais je crois que c'est une salope. L'autre soir, au restaurant, elle m'a fait du pied, alors qu'elle sait pertinemment que tu es mon meilleur ami.» Je n'ignorais rien de ce genre de petit jeu malsain qu'elle affectionnait, mais je ne pouvais m'empêcher de l'aimer et de la désirer. L'amour est aveugle, disait Œdipe... J'avais tenté de la persuader d'entamer une psychanalyse... Dès la première séance, elle s'était jetée sur le sexe de l'analyste, qui l'avait hardiment repoussée. Il était homosexuel... On ne peut pas gagner à tous les coups. Il est vrai qu'elle avait dragué avec succès la presque totalité de mes amis ! «Bon débarras, me disais-je. Des amis comme ça !» À Paris, je ne voyais plus que Jérôme et sa ravissante épouse, Annie. Pour me délivrer du sortilège que m'avait lancé la belle Anne, Jérôme m'avait généreusement proposé sa femme, mais j'avais refusé poliment sa proposition. Moi, j'étais pur ! Moi, j'étais l'homme d'une seule femme ! Hélas, je n'étais pas tombé sur la bonne...
Fort heureusement, outre Jérôme et Annie, j'avais beaucoup d'amis en province, que la maudite Anne n'avait pu atteindre. J'avais des amis à Caen, à Amiens, à Besançon, à Saint-Etienne, à Marseille... tous ceux-là, Anne ne pouvait les débusquer, et ils me gardaient leur amitié, inconscients du drame qui me frappait. Pour récupérer mon Anne Vitas - tout comme moi, elle appartenait à une vieille famille protestante -, je lui avais proposé de l'emmener à Venise. Au Danieli, bien sûr. Suite sur le Grand Canal. Une proposition qu'aucune femme honnête ne peut refuser. Mais Anne n'était pas une femme honnête... Durant une semaine, elle s'acharna à me ruiner et à me gâcher la vie. Pour me ruiner, elle décida de déjeuner tous les jours à la Locanda Cipriani (cent cinquante euros par personne) et de dîner tous les soirs au Harry's Bar (trois cents euros par personne). Pour me gâcher la vie, elle me suivit en traînant les pieds dans les musées vénitiens. À peine étions-nous entrés qu'elle se mettait à traverser au pas de course les galeries, passant sans un regard devant les Canaletto, les Tintoret... J'en étais malade et je devins physiquement malade dès le troisième jour, sans doute victime d'une intoxication à la moule douteuse. Tandis que j'agonisais sur le grand lit en bois de notre suite, elle se promenait dans Venise, me ruinant en achats inutiles. Le cinquième soir, elle prétendit sortir pour dîner et ne rentra qu'à minuit. J'imagine qu'elle avait rencontré un gondolier avenant...
Mes amis, que je tenais au courant de mes déboires, désespéraient. «Ça suffit ! me disaient-ils. Reprends-toi ! Laisse-la tomber !

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