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MON ESPAGNE - OR ET CIEL

DELAY FLORENCE
26.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782705666729
Editeur : HERMANN
Date de parution : 06/02/2008
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MON ESPAGNE  - OR ET CIEL

Extrait

Par temps clair...

Par temps clair, on la voyait, on la touchait presque entre Saint Pierre d'Irube et Hasparren, sur la route des cimes que les troupes napoléoniennes empruntèrent pour l'envahir. À la Chambre d'Amour ou à la Grande Plage, on avait l'illusion de nager vers elle. Une des portes de Bayonne portait son nom comme si elle donnait directement sur elle. Et je la voyais aussi de plus loin, par temps clair, depuis la colline des Landes où je passais une partie de mes grandes vacances. Sauf que soudain je ne la vois plus parce que je suis en train de lire. En train de lire le premier livre qui m'ait donné le sentiment de la littérature. C'est un roman français, absolument et magnifiquement français, qui me donne, c'est un mystère, la sensation d'être espagnol. Comme si, obligée que j'étais à chaque page de courir fébrilement au dictionnaire, il était écrit en cette langue inconnue que l'on parle tra los montes, de l'autre côté des Pyrénées. Jugez-en par vous-même :
«Cinq ou six chaises recouvertes de velours, qui avait pu jadis être incarnadin, mais que les années et l'usage rendaient d'un roux pisseux, laissaient échapper leur bourre par les déchirures de l'étoffe et boitaient sur des pieds impairs comme des vers scazons ou des soudards éclopés s'en retournant chez eux après la bataille.»
En vérité, ce n'était pas le lexique qui m'impressionnait, c'était la phrase. Mais comment aurais-je su ? Je n'avais que treize ou quatorze ans.
Ce roman me paraissait extrêmement lié à mon sort. Je me trouvais comme le héros en Chalosse. Si la grande maison de mes parents sur la colline ne ressemblait en rien à son château en ruine, le jeune baron auquel je m'identifiais mangeait comme moi du jambon de Bayonne et se régalait d'un «potage vulgaire», soupe aux choux et au lard avec des croûtons mitonnes dans de la graisse d'oie qu'on appelle garbure. De plus, le chariot de Thespis (dictionnaire : Thespis, poète grec auquel on attribue la création de la tragédie, de l'acteur, du masque) arrivait au «château de la misère» plein de comédiens et tiré par des boeufs. Or, non seulement je pressentais que jouer des pièces de théâtre est la meilleure façon de prolonger indéfiniment l'état de jeu de l'enfance, mais quand la Citroën de ma mère tombait en panne au milieu de la côte vraiment très raide qui menait à «Miradour», on allait quérir à la ferme voisine une paire de boeufs coiffés d'une tiare pour tirer la voiture. Bref, le destin me faisait signe. Partir sur ce chariot avec les comédiens, le Léandre, le Scapin, le Matamore, devenir acteur comme le jeune Sigognac, c'était ça la vraie vie. Les rôles de femme ne me tentaient pas du tout. Loin de moi la Serafina, ou la soubrette dite morena, gitana et un peu dariolette...

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