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LES SAINT-AUBERT - L'EN-ALLEE DU SIECLE 1900-1920 - VOL01

CONFIANT RAPHAEL
20.99 €
Sur commande
Code EAN : 9782359050769
Editeur : ECRITURE
Date de parution : 07/11/2012
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LES SAINT-AUBERT - L'EN-ALLEE DU SIECLE 1900-1920 - VOL01Tout ce chanter de la rivière des Pères et de la Roxelane, cette eau qui charroie à travers les dalots de l'En-Ville aussi bien l'innocence d'un mouchoir en coton ouvragé que l'infâme d'un pot de chambre d'Aubagne, obligeant les voix à s'élever d'un trottoir à l'autre, atténuant du même coup railleries et macaqueries, et c "est d'une eau si pure qu'il s'agit et c"est d'une draperie d'ombres insolites qu'il convient de se défier...

Les abords du palais de justice étaient étrangement calmes ce matin-là. Aucun de ces attroupements où se mêlaient, non sans dédain, ceux que séparaient la fortune ou la couleur dans cette cité de Saint-Pierre qui se flattait d'être le «Petit Paris des Antilles». Pas de vociférations en créole chez ceux qui trouvaient que la loi était trop dure - «Trop raide, foutre!» dans leur parlure - envers ceux qui ne disposaient que de leurs bras et de leur sueur pour tenir la brise. Aucun conciliabule en français brodé dans la bouche de la mulâtraille, généralement outrée d'avoir été convoquée en pareil lieu. Même les marchandes d'eau de coco ou de tamarins glacés, acharnées à héler les bienfaits de leur marchandise, n'avaient pas encore posé leur petit banc à l'ombre du manguier qui ombrageait le parvis du bâtiment. Seules égayaient l'endroit les affiches criardes vantant l'arrivée du Siècle nouveau et proclamant, en lettres de près d'un mètre de haut, «1900: Siècle de la Paix», ainsi qu'une grappe de drapeaux tricolores oubliés aux frontons de quelques demeures de style.
Ferdinand Saint-Aubert eut une sensation étrange. Celle d'être seul au monde. Complètement seul. La rumeur de la ville basse et le ressac d'une mer agitée depuis la veille ne parvinrent pas à l'apaiser. D'instinct, il leva les yeux en direction du volcan. Ce dernier dormassait comme à son habitude, cône majestueux dont l'en-haut était empanaché de nuages de beau temps.
Les couloirs du palais étaient, eux aussi, déserts.
L'avocat releva le bas de sa robe afin de presser le pas, au risque de faire chavirer les lourds dossiers qu'il portait à bout de bras. Soudain, un greffier jaillit d'un bureau et voulut dire quelque chose, mais aucun son ne sortit de ses lèvres.
- Mon cher Victor, que se passe-t-il? dit Saint-Aubert.
- Vous n'êtes... pas au courant?
- Son Excellence monsieur le gouverneur aurait-il été révoqué? L'Allemagne aurait-elle de nouveau déclaré la guerre à la France? Ha, ha, ha!
L'homme se contenta de tendre deux journaux à Saint-Aubert, avant de tourner les talons. Le premier était l'organe de la caste des Blancs créoles, La Défense coloniale. Un titre se détachait sur sa une:

DES INSURGÉS ONT TENTÉ D'INCENDIER L'USINE DU FRANÇOIS: 10 MORTS, UNE CINQUANTAINE DE BLESSÉS

Saint-Aubert parcourut fébrilement l'article avant de jeter un oeil à l'autre journal, L'Écho de la Martinique. Ce dernier affichait non moins martialement:

L'ARISTOCRATIE USINIÈRE FAIT TIRER SUR LES TRAVAILLEURS AU FRANÇOIS, PROVOQUANT UN CARNAGE

Il n'eut pas le temps de s'attarder davantage. Son client du jour, un négociant mulâtre du Bord de Mer à la bedondaine respectable et au souffle court, suivi de son épouse et d'une demi-douzaine d'affidés, avaient envahi le couloir. Tous semblaient forts en colère. Parlaient à voix exagérément haute, discutaillaient, s'épongeaient le front à l'aide de mouchoirs en soie car, en dépit de l'heure matinale, la chaleur commençait déjà à enserrer l'En-Ville. On n'était pourtant qu'au tout début du mois de février.

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