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CE QUE DISENT LES MORTS ET LES VIVANTS

DALLET JEAN-MARIE
15.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782916136585
Editeur : SONNEUR
Date de parution : 20/03/2013
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CE QUE DISENT LES MORTS ET LES VIVANTSJe me dis en me rasant, abandonnant le philosophe du samedi matin qui cause à la radio et qui vient de déclarer que la muflerie de nos frères humains mène tout droit à une barbarie nouvelle, je me dis, Merde, je me suis coupé, ça saigne sous l'aile droite du nez, avant jamais je ne me coupais, c'est sans doute qu'avec le temps le visage s'affaisse, fait des replis et hop, mon Gillette Mach 3 trébuche. C'est comme la langue que maintenant je mords parfois en mangeant - ça fait mal, ça saigne, c'est dégoûtant -, et je songe encore, Voilà comment je vais attaquer sec, sans bavure, mon chapitre 1, Le 6 juin 1915, Désiré met sa compagnie en place dans une tranchée conquise et à deux heures de l'après-midi une balle lui entre par l'oeil droit, ressort par le gauche. Mais peut-être est-ce trop raide, trop rapide? Peut-être faut-il y aller plus doux, ménager un suspens?
Gym accomplie, toilette terminée, oiseaux nourris, plantes arrosées, informations de neuf heures absorbées, je fais chauffer l'eau du thé en cherchant une phrase plus aimable pour démarrer mon chapitre. Soudain j'entends frapper à la porte. Pourtant, d'ordinaire, personne ne vient me visiter. C'est certain, on frappe des petits coups secs, discrets, sans doute avec la pointe de la deuxième phalange d'un index plié en trois. Il n'y a plus qu'à y aller, c'est peut-être le facteur avec un pli recommandé, pire des Témoins de Jéhovah, pire un copain d'enfance qui a retrouvé ma trace et vient m'accabler de Tu te souviens mon vieux, pire encore une ancienne maîtresse vieillissante qui veut me rappeler nos caresses passées? Lorsque j'ouvre la porte cela dépasse de loin mes imaginations et je les reconnais sur-le-champ, Entrez, entrez!
Je suis tout ému d'installer sur les cantines accolées qui me servent de banquette - là, face à mon lit, contre le mur tapissé de livres -, où sont posés deux oreillers enveloppés d'un paréo vert bronze en harmonie avec le couvre-lit grenat genre indien acheté à Paris du temps où j'avais encore de l'argent - je venais de vendre la maison, les meubles de ma mère, ces meubles bourgeois fossilisés dont elle raffolait, que je n'aimais pas -, oui, je suis tout ému d'installer sur ma banquette la petite dame vêtue de noir, au petit chapeau noir tel un triste canotier bien d'aplomb sur sa chevelure grise en chignon, d'installer à son côté le grand vieillard à la canne blanche qu'il tient entre ses jambes après s'être assis.

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