menu

NOUVELLES SUR ORDONNANCE

LABAYLE DENIS
15.90 €
Sur commande
Code EAN : 9782918135753
Editeur : EDTS DIALOGUES
Date de parution : 11/04/2013
15.90 €
Sur commande
NOUVELLES SUR ORDONNANCELe mensonge amoureux

J'étais arrivé depuis peu dans cet hôpital. Pour consulter, on m'avait attribué le plus petit bureau, au fond d'un couloir, où se concentraient la chaleur de juin, la sueur et les odeurs de pieds.
Lorsqu'elle entra, je sentis un souffle de fraîcheur, une bouffée d'oxygène pour me réanimer. Je venais d'assister à un défilé de robes boudinées, de tee-shirts auréolés, de shorts flasques et de joggings fluorescents. Elle portait une robe blanche sobre, assez moulante, qui économisait autant de tissu en haut qu'en bas. La taille fine, les cheveux noirs légèrement bouclés jusqu'aux épaules, le visage agréablement arrondi, le teint mat, tout en elle évoquait les rives de la Méditerranée.
L'indiscrétion de l'«interrogatoire» médical m'apprit ce que je voulais savoir. Elle s'appelait Fatima Youssef, avait à peine plus de vingt ans et travaillait comme apprentie esthéticienne. Comme je lui demandais de préciser ses origines, elle me déclara:
«Je suis française comme vous, docteur. Mon père est né en Algérie, mon grand-père est mort à Verdun. Quand on l'a mis en première ligne, comme tous les Arabes, on ne lui a pas demandé d'où il venait.»
Son insolence me plut. Puisque la médecine me l'autorisait, je poursuivis mon intrusion dans sa vie privée. J'appris qu'elle était célibataire, vivait avec un petit ami, ne buvait pas d'alcool mais fumait du tabac et du shit à l'occasion. «Du bon», ajouta-t-elle en souriant. Je l'observai, amusé. Elle était jeune, consciente de sa beauté et de son charme, ce qui la rendait aussi fragile qu'arrogante. Je me laissai séduire et continuai à l'interroger en songeant à ce pouvoir inouï qu'offrait la médecine. Dans quelques instants, j'allais pouvoir lui demander de se déshabiller sans qu'elle manifeste la moindre réticence. Cela tenait de la magie. Tout l'art résidait ensuite à ne rien laisser paraître, à garder un regard d'autant plus froid que la vision s'avérait délectable. Secrets inavouables qui restent enfermés entre les murs des cabinets d'examen.
Les troubles dont elle souffrait n'évoquaient rien de précis. De vagues douleurs dans le ventre. Seul leur caractère récent attira mon attention. Je pensai d'abord à des douleurs spasmodiques liées à quelques angoisses existentielles.
Elle laissa tomber en une seconde la robe légère qui l'entourait et me fit découvrir de fines dentelles que je m'efforçai d'ignorer. Elle s'allongea sur la table d'examen. Son corps avait ce rien de rondeur qui donne tant de soucis à une jeune femme et suscite tant de désir chez un homme. Je commençai à palper son ventre avec la discrétion d'un médecin respectueux de ses patients et capable de refouler ses fantasmes.
En une seconde, tout le côté frivole de cette consultation disparut. Sous mes doigts, là, sous la peau fine, à côté de l'ombilic, juste dans la zone douloureuse je palpai une masse dure, grosse comme une petite orange. Sa topographie n'orientait vers aucun organe précis. Je gardai mon calme, j'évitai de croiser son regard. Mon inquiétude dut me trahir, car Fatima Youssef palpa à son tour la zone malade, cherchant ce que j'avais découvert. Pour me donner le temps de réfléchir, je poursuivis machinalement mon examen, rassemblant dans ma tête les éléments en faveur d'une lésion bénigne. Hélas, j'en trouvai fort peu. Je m'en voulais de m'être laissé aller à quelques fantasmes de séduction. Avais-je oublié un instant qu'on ne venait jamais me consulter par plaisir? La maladie me rappelait mon rôle avec son incroyable cruauté. Je transpirai de chaleur et d'inquiétude. Je me rendis compte qu'elle me scrutait.

Commentaires (0)

forum
Soyez le premier à déposer un commentaire !
keyboard_arrow_down
expand_less