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CE QUI RESTE EN FORET - UNE ENQUETE DU CAPITAINE ANATO EN AMAZONIE FRANCAISE

NIEL COLIN
23.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782812605536
Editeur : ROUERGUE
Date de parution : 31/08/2013
23.00 €
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CE QUI RESTE EN FORET - UNE ENQUETE DU CAPITAINE ANATO EN AMAZONIE FRANCAISE- Z'êtes le... le patron ici?
Si un parpaing avait été doté de parole, il aurait sans doute eu cette voix. Laborieuse. Aride. Minérale. Le capitaine André Anato sursauta, recula, main sur la bouche, jugea la silhouette camouflée contre le béton. Du haut de son mètre quatre-vingts, l'homme le dévisageait, les yeux perdus au milieu d'une face poussiéreuse, d'une masse de barbe floue et de cheveux agglomérés. Ses vêtements déchirés pendaient comme de longs poils verdâtres. Sous ses pieds crevassés, des chaussures artisanales, deux morceaux de pneu ligotés par des cordons crasseux. Le clochard tenait entre ses doigts noirs une bouteille en plastique percée d'un tube de stylo à bille, prêt à dégainer son caillou de crack. Une odeur sale suivait tous ses mouvements. Comment un homme pouvait-il atteindre un tel niveau de dégradation?
Anecdotique vingt ans plus tôt, la toxicomanie se répandait comme une épidémie dans le département, cannabis, cocaïne et crack en tête. Chaque soir, une bande de junkies errait autour des camions-snack de la place des Palmistes, la main tendue. Merci pour votre contribution à notre projet d'autodestruction! On les retrouvait à hanter les rues de Cayenne, hagards, beuglant leur dialecte d'un autre monde. D'un monde qui faisait peur, du monde de la précarité, de l'insécurité. Mais d'un monde qui gagnait du terrain.
Le gendarme et le mendiant se jaugèrent un instant. Le contraste était saisissant. Crâne et menton rasés de près, la stature haute, Anato prenait soin de son allure. Que veux-tu? interrogea-t-il du regard. Je n'ai rien pour toi. Pourquoi ce toxicomane avait-il élu domicile à trois mètres de l'entrée de la caserne?
Anato baissa la tête, se dirigea vers son véhicule, puis s'infiltra dans le trafic, vitres fermées, climatisation au maximum. Une atmosphère moite envahissait les artères de Cayenne. La saison sèche peinait à s'imposer, régulièrement interrompue par de puissantes averses. Il se gara bientôt, franchit la porte de sa cantine, un restaurant brésilien où se retrouvaient le midi nombre de fonctionnaires. Il saisit une assiette, la remplit de viande grillée, gratin de légumes, bananes frites et farofa, puis positionna le plat sur la balance, devant une jeune serveuse peroxydée. Il ajouta un jus de mombi*, et paya avant de prendre place à table. Dans un coin de la pièce, un téléviseur ressassait les informations locales.
Monique débarqua quinze minutes plus tard, alors qu'il finissait son repas. Rayonnante, comme de coutume, un sourire aux lèvres qui débordait de son petit visage. Dans un porte-bébé amérindien en bandoulière dormait son nourrisson d'un mois.
- Fa a ego! Salut tonton! s'écria-t-elle en déposant une bise furtive sur la joue d'Anato. Désolée, Thélia terminait sa tétée.
Thélia, le prénom de l'enfant choisi par la jeune mère en souvenir d'une amie décédée'. Une triste histoire.
Anato et Monique, oncle et nièce éloignés, après une rencontre dans la douleur, avaient appris à se connaître, fini par construire une véritable complicité et pris l'habitude de déjeuner ensemble une fois par semaine. Quinze ans les séparaient mais chacun avait trouvé en l'autre l'appui qui lui manquait. Monique, la Ndjuka, aidait le capitaine à renouer avec ses origines, à se sentir à l'aise dans sa famille qu'il découvrait peu à peu, un an après son retour sur sa terre de naissance. Anato, lui, apportait à sa nièce le soutien que son père, la santé en déroute depuis ses soixante bougies, ne pouvait assurer. Il la poussait à reprendre ses études, un CAP petite enfance. Elle ne pourrait pas éternellement se reposer sur le salaire d'un homme, si amoureux fût-il.

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