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UN BALCON SUR L'ALGEROIS

NIMROD
18.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782330018122
Editeur : ACTES SUD
Date de parution : 29/03/2013
18.00 €
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UN BALCON SUR L'ALGEROISLes yeux de Jeanne-Sophie étaient immenses de beauté et de chagrin. Ils étaient vert-jaune. Je me suis accroché à leur lumière comme si je voulais préserver une douleur surprise tantôt. Elle remontait à mon enfance. Jeanne-Sophie me rappelait ces femmes du monde - un peu boulevardières, délicates, attentionnées, qui, du premier regard, vous prennent en charge. Elles sont très sentimentales, excessives, obligeantes, sangsues - pour tout dire. J'embrassais enfin ma catastrophe. Je l'avais cherchée depuis trop longtemps pour reculer. Une femme du genre de Jeanne-Sophie - femelle à souhait, débonnaire jusqu'à la perte -, je maternais dès le sein de ma mère le désir de vivre avec.
J'ai attendu là, sur le canapé, qu'elle raccompagne son monde en toilettes, en plumes, en colifichets, en smokings et noeuds paps, en falbalas et paréos, en bodys et justaucorps, en robes de soirée, en turbans sikhs et casaques... Il y avait aussi un faux émir du Koweït. Je voyais à leur regard que j'étais moqué. Ça souriait à dilater le visage, ça badinait, ça suçaillait des mots de navreries, de débines urbaines et même très urbaines à en juger par le fond de leur âme de pute. Tous ces gens haut placés, ça manquait d'élégance.
Tant que Jeanne-Sophie aimerait ma compagnie, je resterais là à la couver des yeux. Je n'ai qu'un souhait: contempler jusqu'à épuisement de mes forces son grand buste aux splendides nichons. J'ai trouvé le temple de mes révérences. C'est fou le don que la nature fait aux êtres. Certains ont des muscles à la Michel-Ange, d'autres des complexions à la Vénus de Milo. Mais ce ne sont là que pierres et marbres. Ils n'auront jamais le frisson d'une femme au teint de rose nacré le matin au printemps.
La finition corporelle, je la vénère au féminin. Jeanne-Sophie l'avait, et comme au centuple, cette finition qui me terrassait sans façon. Elle était habillée d'une robe du soir qui accentuait la forme en obus de ses seins. Ils représentaient à mes yeux les mangues de Pâques de mon enfance, ces mangues qui nous venaient du Nigeria. Maman les achetait à la paire. Les mangues pesaient au bas mot un kilo chacune. Leur couleur chair - un camaïeu blond qui tirait sur du blanc - les rendait désirables. Je ne les quittais pas des yeux, même si leur accroche sur les branches m'effrayait. Elle était des plus fragiles, et la pensée que les mangues décrocheraient et se briseraient au sol - la vision du sang, la perte d'un jus si précieux - me rendait hystérique, même si je réussissais toujours à le dissimuler. Je trouvais injuste que la générosité fut payée en retour par un sort malheureux. Personne, ni Dieu ni diable, ni le vent ni la grêle n'avaient le droit de desceller les seins comme des bidules... À l'insu de maman, je m'étais institué gardien des seins.

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