Quand il neige sur le quartier, il y a un moment éphémère à saisir, pendant lequel l'endroit où l'on vit ressemble à l'endroit où l'on voudrait vivre. Le temps de sortir, le noir de la boue a repris le dessus et la neige qui était perchée sur les branches est retombée en petits tas tristes sur le sol. Le béton reparaît sous les givres et tout redevient comme avant, comme la veille et le lendemain. Les adolescents du quartier des Poètes mesurent tout ce qui les sépare de ce monde télévisé et quotidien où la neige ne fond pas et dans lequel des copains en voiture rouge klaxonnent devant un petit pavillon coquet pour aller skier sur la plus haute des montagnes. Dans ce monde-là, celui de la série américaine de 18 heures, le héros blond dit trois mots à son père, qui lui fait un clin d'oeil car il sait qu'il va y avoir des filles et qu'il est passé par là lui aussi. Mais ici, en bas de la cité des Poètes, le bonheur de la neige ne dure que le temps d'une illusion, le temps de descendre l'escalier de l'immeuble. Reste le froid.
La neige égalise. En cachant elle égalise. On peut tout imaginer sous la neige. Pourquoi pas un grand champ vert devant la T3. Même la sculpture moderne de l'artiste ukrainien, copain du maire communiste dans les années quatre-vingt, semble tout à coup moins moche. Des sculptures comme ça on en voit à Vitry, Bobigny, Montreuil, Ivry et La Courneuve. Ce sont les sculptures de l'Est. Pas de l'Est de l'Europe, pas de l'Est de la France, non, de l'Est de Paris. Nulle part ailleurs, on n'en voit de ces sculptures-là. Sous la neige, elles se chargent d'une fantaisie imprévue. Comme une erreur de planification, un concert à Moscou en 1965. --Introduction
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