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ACTEUR DE L'ECRITURE

NIANGOUNA DIEUDONNE
10.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782846813853
Editeur : SOLITAIRES INT
Date de parution : 06/06/2013
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ACTEUR DE L'ECRITUREDANS MON ACTE D'ÉCRIRE

Écrire pour les autres c'est toujours quelque chose d'assez louche. Pourquoi se donner la peine de croire qu'on va faire plaisir à quelqu'un? Et surtout se dire qu'on va inventer quelque chose? Alors que tant que ça ne raconte pas les miasmes de là-haut, on peut toujours circuler et revenir sur ses pas comme un enfant de la rue qui a égaré sa sébile. On peut tourner autour de soi, mais dommage qu'on ne puisse pas attraper son ombre. Chez moi le théâtre est venu en bateau avec les colons portugais et français, et l'art contemporain en avion, en même temps que la démocratie et les guerres civiles. Donc faire ce que je fais, si ce n'est pas de l'importation c'est une imposition. Partant de là je peux écrire pour tout et rien.
Je préfère écrire pour moi, de toute façon je n'écris que pour moi, de telle sorte que les autres, lecteurs ou spectateurs, ne soient que des produits dérivés de mon imaginaire. C'est rigolo parce que l'art on le fait «par soi» mais «pour les autres». Je me trouve dans une zone de contradiction. Et heureusement, parce que sinon ça serait à sens unique.
Au commencement, une excitation, tu te sens en danger tant que t'as pas trouvé de quoi t'es coupable. Dans tous les cas l'important c'est d'être mangé. La peur t'assaille de partout; l'envie d'exister arrive ensuite. Méthodiquement le processus de devenir se met en place avec un nerf conducteur qui te tambourine le crâne comme un devoir, et ça fait une musique.
Ma grand-mère racontait des histoires à vous tenir un éléphant éveillé pendant huit jours. Sa seule performance restée dans les annales de Massembo-Loubaki, son village natal, c'est d'avoir fait dévier de sa parcelle le chemin de la mission en promettant au curé de le bouffer si jamais la croix repassait devant sa case. Quand elle faisait de sa main rabougrie un tison enflammé pour raviver le foyer, je me disais que son art de nous raconter des histoires inépuisables, sans têtes ni queues, n'était que le prétexte de sa magie, le mystère qui impliquait son corps pour atteindre les sphères de l'inattendu. C'était bien avant que je puisse me convaincre que c'est le corps qui parle: la bouche n'est qu'un tuyau, c'est le corps qui écrit. L'esprit tient, mais le corps est futile; alors elle pouvait bien le brûler: il se ne consumerait plus, puisqu'il était déjà habité. Les nuits étaient frappées et les bêtes de la savane s'égosillaient pour entraver la voix de la grand-mère. Dans ce mélange, le challenge était autant dans la peur de se faire dévorer par les bêtes que dans celle de la ritournelle de ces épopées interminables. Impossible de dissocier la voix de la grand-mère des indiscrétions de la brousse, elle faisait partie d'un ensemble; c'est comme ça qu'elle arrivait à nous faire flipper, sinon on l'aurait défoncée. Elle jouait avec toute la savane, avec l'âge qu'elle avait donné à la savane, avec le vent qu'elle employait pour réveiller les morts, et la foudre pour repousser le Christ. Elle repartait avec ses aïeuls qui lui devaient tous une vie commune traversée par les mythes et les sacrifices humains. La nature et elle, une musique ponctuant le passage du blues des cannibales qui terminait avec l'arrivée du matin. Voilà comment j'ai su que ça ne me servirait absolument à rien de raconter des histoires. Ce que j'ai à faire c'est partager des expressions, les refléter, les faire bouillir le plus ogrement possible et vous enfoncer l'arôme: celui qui a faim ira chercher à la cuisine. Toutefois, il ne faut pas oublier que c'est toi qu'on bouffe à table.
- Qu'est-ce qu'il y a aujourd'hui au menu?
- Ben, toi!

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