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ENTRETIENS NE

HENRY MICHEL
22.00 €
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Code EAN : 9782351220191
Editeur : SULLIVER
Date de parution : 19/05/2007
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ENTRETIENS NEUN PHILOSOPHE PARLE DE SA VIE
Entretien avec Roland Vaschalde

Roland Vaschalde - Michel Henry, puisqu'il s'agit de parler de vous, commençons par le commencement: une venue au monde en Extrême-Orient et la mort prématurée de votre père. Ces circonstances vous ont-elles marqué en quelque façon?

Michel Henry - Permettez-moi une remarque philosophique au seuil de cet entretien. Je voudrais dire combien je me sens démuni devant l'idée même d'une biographie. Pour celui qui pense que le Soi véritable, celui de chacun, est un Soi non mondain, étranger à toute détermination objective ou empirique, la tentative de venir à lui à partir de repères de ce genre paraît problématique. L'histoire d'un homme, les circonstances qui l'entourent, est-elle autre chose qu'une sorte de masque, plus ou moins flatteur, que lui-même et les autres s'accordent à poser sur son visage - lui qui, au fond, n'a aucun visage? Vous observez que je suis né dans un pays lointain. C'est ce qu'on m'a dit. Mais ce pays n'est-il pas "plus loin que l'Inde et que la Chine"? Pour moi, je suis né dans la vie, dont personne n'a encore trouvé la source sur quelque continent. Je n'ai pas connu mon père - mais n'est-ce pas là la condition de tous les vivants? L'homme dont ma mère m'a parlé plus tard était capitaine au long cours, je le vois comme un personnage de Conrad ou de Claudel. En vérité je ne sais rien de lui. Mais sais-je quelque chose de plus sur l'enfant qui a passé ses premières années là-bas? Nous vivons dans un éternel présent que nous ne quittons jamais. Ce qui se tient hors de lui est séparé de nous par un abîme. Et cela parce que le temps est un milieu d'irréalité absolue. Je partage l'avis de Maître Eckhart: «Ce qui s'est passé hier est aussi loin de moi que ce qui s'est passé il y a dix mille ans.» L'Œdipe est une fable inventée par un malade. Elle vaut pour lui.

Roland Vaschalde - Pardonnez-moi d'insister, ne serait-ce que pour satisfaire l'attente de tous ceux qui, connaissant votre oeuvre, sont venus cependant pour vous rencontrer, vous voir «en chair et en os». Je reprends donc mon investigation. Revenu en France, votre enfance se déroule à Lille dans un milieu familial tris marqué par l'art, et notamment par la musique. Cela façonnera-t-il votre sensibilité, déterminant l'importance que vous attachez à l'élément esthétique, dans votre vie comme dans votre pensée?

Michel Henry - C'est vraisemblable. Parce que la musique aussi échappe au monde. Elle nous atteint pour toujours. Ma mère, qui s'était préparée à une carrière de pianiste virtuose avant de se marier, jouait souvent pour moi. L'émotion que j'éprouvais alors n'est pas passée, c'est elle qui me rattache à ma mère, à tous ceux que j'aime, à l'art lui-même. Si l'idée géniale de Kandinsky de comprendre la peinture à partir de la musique, et donc indépendamment du monde de la représentation, m'a tellement intéressé, c'est peut-être parce qu'elle est liée à ce bonheur qui ne m'a plus quitté.

Roland Vaschalde - Au moment où se pose le choix des études, votre famille était venue à Paris. C'est donc là que vous optez pour la philosophie. Quel a été le facteur déclenchant de cette décision: rencontre avec un maître, des textes, besoin de répondre à des interrogations intimes?

Michel Henry - Mon professeur de philosophie au lycée Henry IV s'appelait René Bertrand. Je lui garde une profonde reconnaissance. Il a largement contribué à ma vocation philosophique. Autant par ses défauts - ou ce qui passait pour tel -que par ses qualités. Son cours, dès la première leçon, était entièrement abstrait en sorte que, n'y comprenant rien, la plupart des élèves se mettaient à chahuter, jouaient à la bataille navale ou posaient des questions saugrenues. Assis au premier rang, j'écoutais, malgré le brouhaha. Je comprenais. J'étais entré dans le monde fascinant des idées. Ce goût pour la philosophie devint un intérêt universitaire exclusif dans les années d'hypokhâgne et de khâgne qui suivirent, ainsi qu'à Lille où je rédigeai durant l'hiver 1942-1943 un mémoire sur Le bonheur de Spinoza, sous la direction de Jean Grenier, juste avant de gagner le maquis.

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