
Joseph Rykwert ne s?y était pas trompé, lorsqu?il écrivit des pages en mémoire de son ami Gio Ponti (1891-1979), marquant sa profonde différence avec les architectes de son temps : « Il est difficile de trouver une photo des grands modernistes ? Le Corbusier, Gropius, Mies ? en train de rire ou même de sourire. La plupart du temps, ils ont l?air austères, propres sur eux, ?autoritaires?. Ce n?est pas le cas de Ponti ? ébouriffé par le vent sur la photo la plus connue de lui, prise à la fin de sa vie, mais que l?on voit souvent en train de jouer avec un des objets qu?il a conçus. Son humour semble avoir débordé dans son travail comme dans ses nombreuses lettres, chaque jour ou presque ? ce même humour qui envahissait toutes ses activités ?, au point qu?en lui parlant, on avait l?impression que son dernier projet portait sur la chose la plus amusante qu?on puisse imaginer. » On l?aura compris : Aimez l?architecture est un texte hors du commun? Gio Ponti, à la fois architecte, designer, céramiste, directeur de revue, le publia au sommet de sa carrière, en 1957. Dès son titre, c?est bien d?un engagement qu?il s?agit, mais qui laisse au lecteur ? effet sans doute de la foi de Ponti, tout ensemble foi en l?architecture et foi religieuse ? le soin de se prononcer lui-même en faveur de l?adoption ou non des propositions qui lui sont faites.
Car Aimez l?architecture n?est pas un traité, ni un discours monolithique cherchant à provoquer, à dominer l?adhésion. C?est un texte au sens propre du terme, c?est-à-dire un tissu, une collection d?idées reflétant celles qui se sont accumulées au fil du temps chez l?auteur. Un livre fait « comme on peint », avec de multiples retouches, de nombreux repentirs, et qui pourtant, à la fin, compose un tableau. La chose n?est pas fréquente, en un siècle où ont plutôt prévalu les manifestes, ou les déclarations impérieuses. « Il existe », écrit Ponti, « outre la logique directe et glorieuse de la pensée, outre la logique de la logique, a priori, qui conduit à un résultat irréprochable, logique, par un processus logique, il existe aussi une logique anecdotique, illogique, qui suit des itinéraires éprouvants, et procède par constatations a posteriori, par rattrapages?: empirique. Elle nous conduit, à travers le métier, sur des chemins de traverse et aussi d?imagination, vers des objectifs dont nous finissons par reconnaître la substance logique. »
C?est bien à ce parcours aussi sérieux que drôle et parfois étrange que Ponti nous convie, d?un chapitre à l?autre, d?une page à l?autre, et presque d?une phrase à l?autre. Ponti avait été particulièrement marqué par la définition que Persico proposait de l?architecture, ou plutôt qu?il suggérait à la fin d?un article célèbre de 1934, citant en réalité un passage de la Lettre aux Hébreux : « La substance des choses qu?on espère. » C?est en cette substance, travaillée d?idéaux toujours à remettre concrètement sur le métier, que, pour Ponti, l?architecture consiste.
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