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JAMAIS AVANT LE COUCHER DU SOLEIL

SINISALO JOHANNA
9.20 €
Sur commande
Code EAN : 9782742754298
Editeur : ACTES SUD
Date de parution : 30/03/2005
9.20 €
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JAMAIS AVANT LE COUCHER DU SOLEILJe commence à m'inquiéter. Le visage de Martes, au quatrième verre de bière, flotte dans une légère brume. Sa main est posée sur la table, près de la mienne, et je vois ses poils bruns, ses solides jointures viriles et ses veines légèrement saillantes. J'amorce un léger mouvement de doigt dans sa direction mais, comme si nous étions reliés l'un à l'autre par un élastique passant sous la table, elle se rétracte en un éclair. Telle une écrevisse dans son trou.
Je le regarde dans les yeux. Son visage affiche un sourire bienveillant, ouvert et compréhensif. Il me paraît à la fois incroyablement désirable et totalement inconnu. Ses prunelles sont des icones d'ordinateur, d'indéchiffrables pictogrammes derrière lesquels se cachent une infinité de merveilles, réservées aux seuls initiés.
"Pourquoi cette invitation ? Qu'est-ce que tu voulais ?"
Martes se carre sur sa chaise. Si décontracté. Si insouciant.
"Bavarder agréablement.
- Rien d'autre ?"
Il me regarde comme si je venais de révéler de moi quelque chose de nouveau, quelque chose de gênant mais de négligeable, tout bien considéré. Un fait peut-être légèrement compromettant, mais sans grande conséquence pour de bonnes relations de travail. Comme un déodorant qui vous lâche.
"Je vais être franc, ce n'est pas mon style."
Mon coeur explose en battements désordonnés et ma langue réagit plus vite que mon cerveau.
"C'est toi qui as commencé."
Quand, à l'école, on cherchait le coupable des bagarres de cour de récré, c'était là le plus important. Savoir qui avait commencé.
Et Martes, quand je poursuis, me regarde comme si j'étais complètement irresponsable.
"On n'en serait jamais arrivé là... si tu ne m'avais pas si clairement fait comprendre que tu étais disponible. Je t'ai déjà dit que la maîtrise de mes sentiments était un de mes points forts. Quand je n'ai pas de très solides raisons de croire que j'intéresse quelqu'un, je fais en sorte qu'il ne se passe strictement rien. Rien. Pas même dans un coin de mon cerveau, nom d'un chien."
Les souvenirs me reviennent en foule, et je sais que je parle d'une voix bien trop hostile. Je me rappelle le contact de Martes contre moi, son érection au travers du tissu de son pantalon, alors que nous nous tenions appuyés, dans l'obscurité de la nuit, au garde-fou surplombant les rapides de Tammerkoski. Je sens sa bouche sur la mienne, son goût de tabac et de Guinness, le frôlement de sa moustache sur ma lèvre supérieure, et j'ai le vertige.
Martes tend la main vers ses cigarettes, en prend une, se la cale entre les lèvres, fait jaillir du feu de son Zippo et tire une profonde et voluptueuse bouffée.
"Je n'y peux rien, si je suis le genre de type sur lequel les autres projettent leurs rêves et leurs désirs."
D'après lui, il ne s'est rien passé.
D'après lui, j'ai tout imaginé.

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