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AU HASARD DES RUES - UNE AVENTURE LONDONIENNE
POSTFACE DE PHILIPPE BLANCHON
TRADUIT DE L'ANGL

WOOLF VIRGINIA
10.00 €
Sur commande
Code EAN : 9782909589305
Editeur : INTERFERENCES
Date de parution : 06/03/2014
10.00 €
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AU HASARD DES RUES - UNE AVENTURE LONDONIENNEPOSTFACE DE PHILIPPE BLANCHON TRADUIT DE L'ANGL

Extrait

Nul n'a jamais, peut-être, éprouvé de sentiment passionné pour un crayon à mine de plomb. Mais il est des circonstances où il peut devenir suprêmement désirable d'en posséder un ; de ces moments où nous sommes résolus à trouver un objet, un but, une excuse pour traverser la moitié de Londres à pied, entre l'heure du thé et le dîner. De même que le chasseur de renard chasse afin de préserver l'élevage des chevaux, et que le golfeur joue afin de préserver les grands espaces des promoteurs, de même, lorsque le désir nous prend d'arpenter les rues au hasard, un crayon fait office de prétexte et, nous levant d'un bond, nous nous écrions : «Il faut vraiment que j'achète un crayon !», comme si, sous couvert de cet alibi, nous pouvions céder sans risque au plus grand plaisir de la vie citadine en hiver - arpenter les rues de Londres.
L'heure doit être au crépuscule et la saison l'hiver, car en hiver, l'aménité des rues et l'air, tel l'éclat du champagne, sont agréables. Nous ne sommes pas harcelés alors, comme en été, par une envie d'ombre, de solitude et de douces brises s'élevant des moissons. L'heure du soir, de surcroît, favorise l'insouciance grâce à l'obscurité et à la lumière des réverbères. Nous ne sommes plus tout à fait nous-mêmes. En sortant de la maison par une belle soirée entre quatre et six, on se débarrasse du moi que nos amis connaissent et l'on devient partie de la vaste armée républicaine des marcheurs anonymes, dont la compagnie est si prisée après la solitude de notre chambre. Là, nous trônons au milieu d'objets qui ne cessent d'exprimer l'étrange té de nos caractères et de souligner les souvenirs de notre expérience. Ce bol sur le manteau de la cheminée, par exemple, fut acheté à Mantoue par un jour de grand vent. Nous quittions la boutique lorsque la vieille dame sinistre s'agrippa à notre jupe en proclamant qu'elle serait morte de faim un de ces prochains jours, mais «Prenez-le» cria-t-elle en nous fourrant le bol de porcelaine bleu et blanc entre les mains, comme si elle tentait d'oublier à jamais sa générosité chimérique. Aussi, empreints d'un sentiment de culpabilité, avec le soupçon toutefois d'avoir été plumés, nous l'avons rapporté à l'hôtel modeste où, au coeur de la nuit, l'aubergiste s'est querellé si violemment avec son épouse que nous nous sommes tous penchés à la fenêtre donnant sur la cour pour regarder, et nous avons vu les vignes vierges enlaçant les colonnes et les blanches étoiles dans le ciel. Le moment était figé, poinçonné à jamais comme un sou, entre des millions d'autres qui imperceptiblement s'écoulent. Là aussi se trouvait l'Anglais mélancolique qui se dressa au milieu des tasses de café et des petites tables en fer forgé et qui révéla les secrets de son âme - ainsi que le font les voyageurs. Tout cela - l'Italie, la matinée venteuse, les vignes vierges autour des colonnes, l'Anglais et les secrets de son âme - s'élève dans un nuage du bol chinois posé sur le manteau de la cheminée. Et là, alors que nos yeux se tournent vers le sol, (...)

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